La guerre israélo-iranienne : quel enjeu pour le budget de l’Etat gabonais et son économie sur l’exercice 2025?
- CEAEFP- Gabon
- 18 juin
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Dernière mise à jour : 22 juin
Publié par Marien MBA ESSONO le 18 juin 2025

Les finances publiques du Gabon sont confrontées à un environnement international instable et une dynamique économique incertaine. Alors que les tensions géopolitiques, notamment au Moyen-Orient, avec la hausse des prix du baril du pétrole qui en découle, le pays pourrait bénéficier d’une rentrée de recettes fiscales plus importante que prévu. Ce qui créerait une marge de manœuvre budgétaire nécessaire au financement de ses investissements. Toutefois, les effets économiques et sociaux seraient beaucoup plus nuancés pour ne pas dire négatifs.
I- Un contexte favorable pour les finances publiques gabonaises
Le budget de l’Etat pourrait bénéficier d’un effet d’aubaine et d’une amélioration relative de son ratio d’endettement.
A- Un effet d’aubaine pour le budget de l’Etat
L’Etat pourrait voir ses recettes budgétaires augmenter de façon inattendue permettant ainsi le financement des investissements inscrits dans la loi de finances 2025.
1- Vers une hausse inattendue des recettes budgétaires ?
Le budget 2025 du Gabon a été construit sur une hypothèse de prix du baril supérieur à 80 $, soutenue par les perspectives du marché en 2024. Toutefois, au premier semestre 2025, le Brent a oscillé entre 64 $ et 75 $, avec une moyenne autour de 67–68 $, en dessous du seuil prévu, limitant les recettes fiscales et augmentant le risque de tension de trésorerie et de déficit.
La situation a évolué avec la montée des tensions entre Israël et l’Iran. Le 17 juin 2025, le Brent s’élevait à environ 74,5 $ à 75 $, dopé par une prime de risque géopolitique liée aux menaces sur le détroit d’Ormuz, par lequel transite 20 % du pétrole mondial. En cas de perturbation majeure, certaines projection évoquent un baril à plus de 100 $, voire 120–130 $ si la guerre perdure. Cela représente une opportunité pour le Gabon. Chaque hausse de 10 $ pourrait générer plusieurs centaines de millions de dollars supplémentaires. Avec une production d’environ 200 000 barils/jour, chaque dollar gagné équivaut à environ 73 M$ par an. Une hausse de 15 $ rapporterait plus d’un milliard de dollars, permettant de réduire voire combler le déficit budgétaire ou d’accélérer l’exécution des projets d’investissement de l’Etat.

Cette perspective est très favorable aux finances publiques gabonaises surtout pour le financement des investissements prévus dans la loi de finances 2025.
2- La création potentielle de marge de manœuvre nécessaires au financement des investissements prévus en LFI 2025
Au Gabon, l’investissement public dépend fortement des recettes issues des exportations pétrolières. En 2025, le budget a été construit sur un baril à plus de 80 $, mais la chute du Brent sous les 65 $ en début d’année a compromis les prévisions, entraînant des ralentissements dans plusieurs projets en cours. La remontée récente du baril à 75 $ et les projections de hausse vers 90–100 $ offrent un espoir de relance. Aussi, on peut s’attendre qu’au-delà de 85–90 $, les investissements publics repartent à la hausse.
Par ailleurs, une amélioration des recettes pétrolières permettrait de réduire le recours à l’endettement, mais surtout d’affecter les excédents éventuels au profit de l’investissement, augmentant la part financement sur ressources propres — un indicateur clé de soutenabilité pour la CEMAC et les bailleurs.
B- Un effet positif relatif sur le ratio d’endettement public
Le ratio dette/PIB est un indicateur clé de la soutenabilité des finances publiques. Pour un pays comme le Gabon dont le budget repose largement sur la rente pétrolière, ce ratio est fortement influencé par les fluctuations des prix du pétrole. Ainsi, la hausse du baril, liée au conflit israélo-iranien, peut contribuer mécaniquement à une amélioration de ce ratio, sans réduction immédiate du stock de dette.
Le Gabon affiche un endettement public autour de 55 à 65 % du PIB en juin 2025, un niveau inférieur au seuil communautaire de la CEMAC (70 %). Pour Fitch Ratings la dette publique du Gabon atteindra environ 71 % du PIB d’ici la fin de l’exercice 2025 tandis que pour le FMI et l’agence Moody’s ce taux pourrait monter jusqu’à 78 % du PIB. L’effet attendu provient principalement d’un « effet dénominateur » : la hausse du prix du pétrole accroît le PIB nominal via les recettes d’exportation, ce qui diminue le ratio dette/PIB, même si la dette reste stable. Par ailleurs, une hausse des recettes réduit le besoin de financement. L’État pourrait limiter ses emprunts, voire rembourser une partie de la dette intérieure, améliorant ainsi la liquidité du secteur privé. Cela pourrait aussi, du moins de façon probable, renforcer la notation souveraine du Gabon, abaisser les primes de risque et facilitant un éventuel refinancement.
II- Un contexte de tension géopolitique aux effets économiques et sociaux potentiellement négatifs
Le conflit israélo-iranien accentue les tensions sur les marchés pétroliers mondiaux, entraînant, une hausse, bien que modérée, des prix de l’énergie. Pour le Gabon, ce contexte pourrait générer une inflation, affectant à la fois la croissance économique et le pouvoir d’achat des ménages.
A- Le risque d’une hausse de l’inflation et d’une baisse de compétitivité
Malgré sa production pétrolière, le Gabon dépend largement des importations de produits raffinés et d’électricité. Une envolée hypothétique du prix du baril vers 90–100 $ entraînerait une hausse des prix du carburant, du gazole et du GPL, impactant directement les coûts de transport. Cette hausse rejaillit sur l’acheminement des biens, notamment alimentaires, accentuant l’inflation sur les produits de première nécessité.
Les entreprises, hors secteur pétrolier, subiraient également une pression croissante sur leurs coûts de production. Les hausses des prix des matières premières importées (plastiques, engrais) et des frais logistiques nuiraient à la compétitivité de secteurs que le Gabon cherche pourtant à développer pour sortir de sa dépendance pétrolière.
Les ménages, en particulier les plus modestes, verraient leurs dépenses augmenter en plus alors que leurs revenus stagnent, en l’absence d’un système d’indexation salariale. Cela fragilise leur pouvoir d’achat et alimente le risque social. Par ailleurs, la hausse durable des prix pourrait ancrer des anticipations inflationnistes incitant la BEAC à durcir sa politique monétaire.
B- Une baisse potentielle du pouvoir d’achat dans un contexte de désindexation des salaires.
Dans un contexte où il n’existe pas de mécanisme formel d’indexation des salaires à l’évolution des prix, cette hausse du coût de la vie pourrait entraîner des conséquences économiques et sociales significatives. Au Gabon, les salaires – notamment dans le secteur public – sont ajustés de manière ponctuelle, sans lien automatique avec l’inflation. Dans le secteur privé, les petites entreprises peinent déjà à absorber les hausses de coûts. Par conséquent, les revenus stagnent tandis que les prix de l’énergie, du transport et des produits essentiels augmentent. Cette dynamique fragilise le budget des ménages, particulièrement ceux à faibles revenus qui consacrent une part importante de leurs ressources aux biens de première nécessité.
La baisse du pouvoir d’achat pourrait freiner également la demande intérieure, affectant les secteurs du commerce, des services et de l’artisanat local, déjà vulnérables. Face à ce défi, le gouvernement doit concilier rigueur budgétaire et protection sociale. Des mesures ciblées – subventions, transferts sociaux ou négociations salariales – pourraient atténuer l’impact sur les plus vulnérables.
En somme, si le contexte international actuel offre au Gabon une fenêtre d’opportunité budgétaire grâce à la remontée des cours du pétrole, il convient de faire preuve de prudence. Une désescalade rapide ou une normalisation des marchés entraînerait vraisemblablement une rechute des prix du baril, réduisant d’autant les marges budgétaires espérées. Le gouvernement gabonais doit donc éviter de fonder sa stratégie de financement sur une rente incertaine et volatile. La consolidation des finances publiques, la diversification de l’économie et le renforcement de la résilience sociale doivent demeurer les piliers de sa gestion budgétaire et économique.
Sources:
Loi de finances pour 2025
Nicolas GALLAND, Pétrole : «Le prix du baril devrait rechuter malgré le guerre entre l'Iran et Israël».( Pétrole : «Le prix du baril devrait rechuter malgré le guerre entre l'Iran et Israël» - Capital.fr)
Enola Richet, Israel-Iran : l’impact d'une guerre sur les prix du pétrole, les scénarios possibles (Israel-Iran : l’impact d'une guerre sur les prix du pétrole, les scénarios possibles – L'Express)
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