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Le projet de loi relatif à la répartition des sièges électoraux : questionnement sur l’opportunité/efficacité d’une hausse du nombre des députés et des sénateurs.

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    CEAEFP- Gabon
  • 9 juin
  • 15 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 juin

Par Marien MBA ESSONO, publié le 9 juin 2025.



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Le 30 août 2023 a marqué une rupture profonde dans l’histoire politique du Gabon. La prise de pouvoir par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) a ouvert une séquence de refondation politique et institutionnelle depuis la conférence nationale de 1990. Dans un contexte où la légitimité du régime précédent était fortement remise en cause, cette transition est accompagnée d’un ensemble de réformes, parmi lesquelles figure le projet de loi relatif à la répartition des sièges des députés et des sénateurs en République gabonaise adopté en conseil des Ministres du 4 juin 2025 en application des articles 216, 247 et 248 de la loi organique n°001/2025 du 19 janvier 2025 portant Code électoral. Ce texte, porteur de profondes modifications dans l’organisation du jeu démocratique, se veut l’instrument d’un renouveau institutionnel. Il introduit notamment une recomposition du Parlement, avec une hausse du nombre de députés (désormais 145) et de sénateurs (portés à 70).


Une réforme qui n’est pas sans susciter de débats, tant sur sa pertinence que sur son opportunité. Dans un pays où la population ne dépasse guère les 2,5 millions d’habitants, où les finances publiques sont soumises à une pression constante, et où le Parlement ne s’est toujours illustré autrement que comme une caisse de résonance du pouvoir excessif, l’augmentation du nombre de parlementaires paraît, au mieux, discutable, au pire, contre-productif.


Ce questionnement s’impose d’autant plus que la réforme intervient dans un contexte d’attentes fortes de la population : attentes de rupture, d’efficacité, de réduction du train de vie de l’État, de priorisation des dépenses vers les secteurs sociaux et les infrastructures de base. Sous ce rapport, la hausse du nombre de parlementaires ne peut être analysée uniquement sous l’angle de la représentativité. Elle pose aussi, et surtout, la question de la soutenabilité financière, de la cohérence politique et de l’efficacité institutionnelle.


Dès lors, il convient de s’interroger si cette réforme est une avancée démocratique ? Mais surtout, est-elle opportune ? Pour y répondre, nous analyserons d’abord la logique de renforcement de la représentativité invoquée pour justifier cette réforme (I), avant d’en analyser les conséquences dans un contexte de tension budgétaire et de trésorerie de l’Etat (II), puis nous proposerons quelques pistes de réforme alternative (III).

 

I – La volonté affirmée d’une plus grande représentativité

 

Le projet de loi relatif à la répartition des sièges des députés et des sénateurs en République gabonaise, en révisant la configuration de la représentation parlementaire au Gabon, manifeste une volonté politique de mieux refléter la diversité des composantes de la nation. Si cela inclut des avancées notables en matière d’inclusion, elle suscite également des interrogations quant à la cohérence globale du dispositif mis en place. D’une part, l’instauration de sièges réservés à la diaspora marque une ouverture inédite vers une citoyenneté plus inclusive (A). D’autre part, l’augmentation significative du nombre de parlementaires interroge sur la pertinence et la soutenabilité d’un tel choix dans un contexte démographique et institutionnel spécifique (B).


A. La création bienvenue de deux députés représentant les Gabonais de la diaspora


L’un des points positifs de cette réforme réside dans la reconnaissance institutionnelle des Gabonais vivant à l’étranger. En instaurant deux sièges réservés à la diaspora à l’Assemblée nationale, la réforme introduit une nouveauté dans l’architecture parlementaire nationale. Jusque-là, les citoyens résidant hors du territoire gabonais n’étaient représentés par aucun député spécifique, bien qu’ils soient appelés à voter à chaque élection présidentielle.

Cette innovation est hautement symbolique et politiquement juste. La diaspora gabonaise peut être estimée à environ 47 000 personnes, majoritairement concentrées en Europe (France, Belgique), en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal) et en Amérique du Nord. Il s’agit d’une population étudiante mais aussi active, souvent hautement qualifiée, qui contribue économiquement au pays à travers les transferts de fonds, mais aussi intellectuellement, par son engagement dans les débats publics et l’activisme politique.

En leur octroyant une représentation parlementaire directe, le législateur reconnaît à juste titre le rôle que cette communauté peut jouer dans la vie politique nationale. Cela ouvre également la voie à une meilleure prise en compte des problématiques spécifiques auxquelles elle est confrontée : lenteurs administratives des services consulaires, difficultés d’intégration dans les pays d’accueil, obstacles à l’investissement au pays etc.

Mais cette avancée, aussi pertinente soit-elle, ne saurait masquer les limites de cette réforme. Car la hausse globale du nombre de parlementaires soulève de sérieuses interrogations sur sa justification démographique, sa cohérence avec les impératifs d’efficacité institutionnelle, et sa compatibilité avec la situation financière du pays.


B. Le caractère pléthorique du nombre de députés et sénateurs au niveau national


Au-delà de leur nombre élevé au regard de la démographie nationale (1), les parlementaires gabonais suscitent une autre interrogation majeure : leur rôle effectif dans le fonctionnement démocratique du pays, longtemps marqué par une faible productivité et un alignement systématique sur l’exécutif (2).


1. Un nombre élevé de parlementaires injustifié dans un contexte de faiblesse démographique


Avec 145 députés et 70 sénateurs, le Gabon compte désormais 215 parlementaires pour une population estimée à 2,3 à 2,5 millions d’habitants. Ce ratio – un parlementaire pour environ 11 600 habitants – est l’un des plus élevés du continent africain, et même au-delà. Pour donner un ordre de comparaison :

  • Le Sénégal, avec près de 18 millions d’habitants, dispose de 165 députés à l’Assemblée nationale, soit 109,090 habitants par député. En d'autres termes, si ce pays aurait 2,3 millions d'habitants, il y aurait environ 21 députés.

  • Le Cameroun, avec environ 27 millions d’habitants, compte 280 parlementaires (180 députés et 100 sénateurs), soit 96 428 habitants par parlementaire. En d'autres termes, avec 2,3 millions d'habitants, le Cameroun aurait environ 24 parlementaires.

  • La France, avec plus de 68 millions d’habitants, dispose de 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs), soit 73 513 habitants par parlementaire. En d'autres termes, avec 2,3 million d'habitants, la France aurait environ 31 parlementaires.


Rapporté à la population, le Gabon se retrouve avec une représentation plus dense que nombre de pays aux structures administratives et politiques bien plus complexes. Ce déséquilibre est d’autant plus saisissant que la densité démographique du Gabon est extrêmement faible : moins de 9 habitants au km², l’un des taux les plus bas d’Afrique.

Dans un tel contexte, le maintien d’un découpage électoral basé sur des critères principalement géographiques, sans tenir compte des réalités démographiques et économiques, conduit à un surdimensionnement artificiel de la représentation nationale. De nombreuses circonscriptions électorales couvrent des zones faiblement peuplées, ce qui gonfle mécaniquement le nombre de sièges sans que cela réponde à une logique fonctionnelle.

La réforme aurait été plus pertinente si elle avait procédé à une rationalisation du découpage administratif et électoral, en fusionnant certaines circonscriptions ou en redessinant les limites pour les adapter à la répartition réelle de la population. Cela aurait permis d’améliorer la représentativité sans nécessairement augmenter le nombre de sièges.


2. Un Parlement historiquement improductif, voire une caisse de résonance du gouvernement


Au-delà des chiffres, c’est le fonctionnement même du Parlement gabonais qui interroge. En théorie, ses attributions sont étendues : voter la loi, autoriser les prélèvements fiscaux, contrôler l’action gouvernementale et évaluer les politiques publiques. Mais dans les faits, ces missions sont rarement exercées avec rigueur ou indépendance.


Pendant des décennies, l’Assemblée nationale comme le Sénat ont été largement dominés par la majorité présidentielle, se transformant de fait en chambres d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Le Parlement gabonais n’a quasiment jamais initié d’enquête publique sur des sujets d’intérêt national, alors même que les scandales de mauvaise gouvernance se sont succédés.


L’exemple le plus éloquent reste celui des fonds COVID-19, pour lesquels des rapports d’enquête parlementaire ont été évoqués sans jamais être publiés, ni débattus publiquement. Le Parlement s’est contenté de faire silence, au mépris de son rôle constitutionnel de contrôle de l’action gouvernementale.


Plus récemment, alors que les populations font face à de graves pénuries d’eau et d’électricité, aucune audition publique des responsables de la SEEG (Société d’Énergie et d’Eau du Gabon) n’a été organisée. Aucun député n’a porté de motion officielle pour interpeller le gouvernement, ni n’a proposé de commission d’enquête diffusée à la télévision publique. Le lien entre les élus et les préoccupations citoyennes reste donc extrêmement ténu.


Dans ces conditions, ajouter de nouveaux parlementaires ne garantit en rien un renforcement de la démocratie, surtout si le Parlement reste structurellement incapable de se comporter comme un véritable contre-pouvoir. L’enjeu central ne réside pas dans le nombre, mais dans la qualité de la représentation, la transparence des travaux, et l’activation des instruments de contrôle.


II – Une réforme en contradiction avec l’urgence d’économie dans un contexte financier difficile

 

Alors que le Gabon traverse une conjoncture économique tendue et que les autorités de la transition affichaient une volonté de rupture avec les excès du passé, l’augmentation du nombre de parlementaire dans le nouveau code électoral adoptée en 2024 soulève de sérieuses interrogations quant à sa cohérence budgétaire (A), son efficacité institutionnelle (B) et sa compatibilité avec les ambitions vertueuses annoncées par les autorités de la transition (C).


A. L’augmentation du nombre de parlementaires : un coût budgétaire difficilement justifiable.

 

L'augmentation du nombre de parlementaires alourdit significativement la charge budgétaire de l’État (1) tout en apparaissant, aux yeux de nombreux citoyens, comme une mesure déconnectée des urgences sociales du pays (2).


1. Une charge publique structurellement alourdie


Dans un pays comme le Gabon où les finances publiques restent sous tension chronique, toute réforme institutionnelle engageant des dépenses supplémentaires doit répondre à une impérieuse exigence de rationalité budgétaire et financière. L’augmentation du nombre de parlementaires comme le prévoit le projet loi relatifs aux partis politiques et à la répartition des sièges électoraux, contrevient à ce principe de sobriété budgétaire pourtant revendiqué par les autorités de la transition. Car derrière la réforme, ce sont des dizaines de milliards de francs CFA qui devront être mobilisés chaque année pour assurer la rémunération, les avantages et le fonctionnement logistique de 215 parlementaires.


Selon des estimations prudentes, le coût annuel moyen d’un député ou sénateur au Gabon se situerait autour de 25 à 30 millions de FCFA, en intégrant le salaire de base, les indemnités de logement, de représentation et de mission, les avantages en nature (véhicule de fonction, carburant, billets d’avion, téléphone, etc.), les frais de fonctionnement de l’assistant parlementaire et du secrétariat, et enfin la logistique liée à leur siège (bureau, personnel de soutien, matériel informatique, sécurité, etc.).


Multipliée par 215 élus, cette estimation se traduit par une dépense annuelle directe de plus de 5 à 6 milliards de FCFA, sans compter les coûts indirects liés à la construction, l’entretien ou l’équipement de nouveaux sièges parlementaires, ni ceux liés aux sessions extraordinaires, déplacements internationaux ou missions parlementaires.


Dans un pays où le budget alloué à la santé publique peine à atteindre 5 % des dépenses totales, et où l’on enregistre une pénurie récurrente de médicaments essentiels dans les hôpitaux publics, cette augmentation des charges politiques est difficilement compréhensible pour la population. L’opinion publique attendait des signaux clairs de réduction du train de vie de l’État, et non l’inverse.


2. Une réforme perçue comme déconnectée des priorités sociales


Le coût politique d’une telle décision ne réside pas uniquement dans les chiffres budgétaires. Il tient aussi au ressenti populaire, à un moment où les attentes en matière d’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé et à l’éducation sont à leur paroxysme. Or, l’augmentation du nombre de parlementaires est perçue par une partie importante de la population comme une forme de reconduction d’un système de privilèges, dans la droite ligne de ce que le CTRI disait vouloir corriger.


Les réseaux sociaux gabonais ont d’ailleurs largement relayé des critiques à l’encontre de cette mesure, y voyant un retour aux anciennes pratiques de « fabrication de postes pour les alliés politiques ». De nombreuses voix, y compris au sein de la société civile, des universitaires ou des syndicats, ont dénoncé une réforme hors sol, qui ne répond ni à une demande populaire pressante, ni à une stratégie globale de redressement des institutions.


Cette perception négative est d’autant plus marquée que la transition gabonaise avait été bien accueillie au plan national comme une opportunité historique de rupture avec les gaspillages de l’ère précédente. L’augmentation du nombre de parlementaires apparaît donc en décalage avec l’aspiration à la sobriété budgétaire exprimée par une large frange de la population.


B. La future composition du Parlement symbole d’un fonctionnement institutionnel toujours inefficace

 

Cette réforme soulève des doutes quant à son efficacité réelle (1) et elle risque même de soulever d’autres problématiques (2).

 

1. Une augmentation du nombre de parlementaire sans effet réel sur l’efficacité institutionnelle


L’une des failles majeures de cette réforme réside dans son absence de lien organique avec une stratégie d’amélioration du fonctionnement parlementaire. Autrement dit, l’augmentation numérique des députés et sénateurs ne s’accompagne d’aucune réforme structurelle visant à professionnaliser l’activité parlementaire, renforcer les capacités techniques des commissions, améliorer l’assiduité des députés et sénateurs, diffuser largement les débats parlementaires pour garantir la transparence ; ou encore évaluer l’impact des lois votées.


Dans ces conditions, cette réforme risque de ne produire aucun gain démocratique significatif, si elle se limite à empiler des sièges supplémentaires dans des institutions déjà confrontées à un déficit d’efficacité.


Une Assemblée nationale de 145 membres ou un Sénat de 70 membres n’ont d’utilité que s’ils sont dotés des outils nécessaires pour fonctionner en véritables contre-pouvoirs actifs, capables de contrôler l’action du gouvernement, d’interroger les politiques publiques, d’anticiper les crises et d’éclairer les choix de l’exécutif.


Or, dans l’histoire récente du Gabon, ces fonctions ont été très largement négligées. En témoignent l’absence de débat annuel sérieux sur la Loi de règlement budgétaire, la validation systématique des Lois de finances en moins de trois semaines, sans véritables amendements de fond ou encore le vote de certaines lois techniques complexes sans que leurs implications soient comprises par les parlementaires eux-mêmes, faute de formation et d’accompagnement méthodologique.


L’enjeu majeur n’est donc pas tant le nombre d’élus, mais leur capacité à travailler efficacement, de façon documentée, responsable, et dans un esprit de service public. Sans changement profond dans la culture parlementaire, l’augmentation des sièges devient un simple affichage, voire une source de nouvelles inefficiences.


2. Un effet de dilution de la responsabilité et du contrôle


Il existe par ailleurs un risque de dilution de la responsabilité politique. Plus le nombre de députés et de sénateurs augmente, plus il devient difficile d’identifier clairement les responsables de décisions, de votes ou de prises de positions publiques. Cette dilution renforce la tendance à l’anonymat parlementaire, où peu d’élus prennent la parole, peu s’engagent véritablement, et où la masse permet à chacun de se fondre dans un collectif silencieux.


Ce phénomène est déjà observable dans d’autres pays où le nombre de parlementaires est élevé mais l’efficacité législative faible. Il est renforcé par l’absence de règles strictes de redevabilité : très peu de parlementaires gabonais rendent compte de leurs actions, publient des bilans de mandat ou organisent des réunions de comptes-rendus dans leurs circonscriptions.


À cet égard, la hausse du nombre de parlementaire, sans encadrement rigoureux des obligations de présence, de transparence, et de contrôle, pourrait aggraver le sentiment de déconnexion entre les représentants et les citoyens. Il alimente l’idée que les institutions sont des « clubs politiques fermés », plus soucieux de préserver leurs avantages que de transformer concrètement la société.


C- La contradiction avec les principes affichés de la Transition


L’augmentation du nombre de parlementaires apparaît contraire aux promesses de rupture du CTRI (1) et n’envoie pas de signaux positifs aux partenaires techniques et financiers internationaux (2). 


1. Une réforme aux antipodes de la promesse de rupture du CTRI


À l’origine de la transition, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions avait formulé des engagements clairs en faveur d’un État plus sobre, d’une gouvernance plus responsable et d’une meilleure efficacité des politiques publiques.


Ces principes avaient été salués par une majorité de la population comme des bases solides pour une réforme durable de l’appareil d’État. Sous ce rapport, la décision d’augmenter le nombre de parlementaires paraît dissonante, voire contradictoire avec la philosophie affichée de refondation.


Certes, l’argument de la représentativité est mobilisé pour justifier la réforme. Mais il aurait gagné en crédibilité s’il s’était accompagné d’une réduction simultanée des dépenses liées aux institutions de souveraineté (Présidence, CESE, Cour constitutionnelle, Parlement etc.), d’un plafonnement des indemnités parlementaires, ou d’une limitation des avantages annexes. En l’absence de telles mesures compensatoires, la réforme est perçue comme un retour aux logiques anciennes, disqualifiant progressivement le discours de rupture initial.


2. Un choix qui fragilise la crédibilité de la transition ?


La transition gabonaise fait l’objet d’une attention particulière de la part des partenaires techniques et financiers très regardant sur la réduction des coûts institutionnels, à une modernisation de la gouvernance, et à une allocation plus efficace des ressources publiques.


Dans ce contexte, la réforme du Parlement pourrait être interprétée comme un signe de relâchement de la rigueur budgétaire, voire d’un retour progressif à une forme de clientélisme politique. Ce type de signal fragilise la capacité du Gabon à mobiliser l’aide budgétaire extérieure, à négocier de nouveaux partenariats financiers ou à bénéficier d’un allègement de la dette dans les forums internationaux.


Or, avec un ratio dette/PIB supérieur à 70 %, une faible diversification économique et une forte dépendance aux exportations de matières premières, le pays ne peut se permettre d’affaiblir sa crédibilité financière.


III – Pour une réforme alternative, alliant représentativité et sobriété institutionnelle

 

Il est important de repenser la représentativité à l’aune des réalités sociologiques et territoriales du Gabon (A) et de rationaliser le bicamérisme (B). 


A. Repenser la représentativité à l’aune des réalités sociologiques et territoriales du Gabon


L’enjeu de la représentativité dans une démocratie parlementaire ne se résume pas à une simple multiplication des sièges. Il s’agit, plus fondamentalement, de garantir à chaque citoyen la possibilité d’être représenté équitablement dans les débats et décisions nationaux. Or, cette exigence peut être atteinte sans pour autant créer une structure parlementaire pléthorique.


Le Gabon compte environ 2,3 millions d’habitants, soit une population très inférieure à celle de pays comme la Côte d’Ivoire (30 millions d’habitants), le Cameroun (plus de 28 millions) ou encore le Sénégal (18 millions), qui ne comptent pourtant pas deux chambres aussi lourdes en proportion de leur démographie. La structure territoriale elle-même est déséquilibrée : la moitié de la population réside dans les provinces de l’Estuaire et du Haut-Ogooué. À l’inverse, des départements comme le Komo-Océan, la Lombo-Bouenguidi ou la Lékoni-Lékori enregistrent des densités humaines très faibles.


Une réforme véritablement audacieuse aurait donc consisté à réviser le découpage électoral, pour refléter avec justesse la géographie humaine du pays. Plutôt que de maintenir ou d’élargir artificiellement le nombre de circonscriptions, il aurait fallu envisager la fusion de certains départements peu peuplés, une recentralisation partielle de la représentation vers les bassins de population les plus denses et surtout, la mise en place de mécanismes de représentation proportionnelle.


Une telle réforme aurait aussi eu pour avantage de simplifier l’organisation des scrutins, de réduire les contentieux électoraux liés aux découpages approximatifs, et de favoriser une plus grande équité dans l’accès aux débats parlementaires.


B. L’exigence de rationalisation du bicamérisme et de simplification institutionnelle

 

Il est nécessaire d’engager aujourd’hui un vrai débat sur le maintien du bicamérisme intégral (1). Nous pensons même qu’il est urgent de réduire le nombre de parlementaire (2).


1. Un débat nécessaire sur le maintien du bicamérisme intégral


La coexistence d’un Sénat et d’une Assemblée nationale au Gabon, bien que théoriquement justifiée par le besoin de double lecture des lois et de représentation des collectivités locales, mérite aujourd’hui d’être interrogée. Dans la pratique, les deux chambres se contentent de valider les décisions gouvernementales, sans réel contre-pouvoir ni complémentarité stratégique.


Dans un pays à la population modeste, aux finances contraintes et aux infrastructures institutionnelles limitées, le maintien de deux chambres pourrait être remplacé par un parlement monocaméral renforcé, et d’une obligation d’audition publique et diffusée en direct des membres du gouvernement.


Certains pays, comme le Sénégal ou le Burkina Faso, ont opté pour des formes souples de bicamérisme, avec des missions bien différenciées. Comme le Sénégal, le Gabon pourrait engager une réforme de la Constitution pour supprimer le Sénat et le remplacer par un simple organe consultatif territorial, sans pouvoir législatif formel, mais chargé de formuler des avis sur les politiques de décentralisation, d’aménagement du territoire, ou d’équité interprovinciale.


2. L’exigence de réduction du nombre de parlementaires


Loin de refléter une logique de rupture, la hausse du nombre de parlementaires est une erreur politique et symbolique. Elle pourrait, à terme, être corrigée par une réduction ciblée du nombre de sièges parlementaires de 145 à 100 députés et de 70 à 45 sénateurs, sur la base d’un nouveau découpage rationnel.


Ce recentrage permettrait d’économiser plusieurs milliards de francs CFA par an, de concentrer les moyens sur la qualité plutôt que la quantité, et d’envoyer un signal fort de modernisation de la vie publique.


Conclusion


La réforme du code électoral de 2024, en portant à 145 députés et 70 sénateurs la composition du Parlement gabonais, soulève une série de critiques légitimes sur le plan politique, institutionnel et financier. Si elle répond en partie à la volonté affichée d’élargir la représentativité nationale, notamment par l’intégration de la diaspora, elle demeure profondément inadaptée aux réalités démographiques, budgétaires et institutionnelles du pays. Dans un contexte de crise des finances publiques, d’instabilité institutionnelle et d’attente citoyenne forte de rupture, cette décision paraît hors de propos, voire contre-productive. Elle renforce le sentiment d’un retour aux dérives de l’ancien régime, malgré le discours de refondation porté par les autorités de transition.


Pour rétablir la cohérence du processus, il est nécessaire d’envisager, révision du découpage électoral, une rationalisation du nombre de parlementaires, et une réforme du bicamérisme, voire une transition vers une structure parlementaire simplifiée.

La réforme du Parlement ne doit pas être pensée comme un outil de répartition des sièges ou des privilèges, mais comme un levier stratégique de la démocratisation effective, du contrôle citoyen, et de l’efficience des politiques publiques. À ce prix seulement, elle retrouvera sa légitimité, et pourra incarner la transition que le Gabon appelle de ses vœux.


Bibliographie :


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