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L’augmentation de la redevance de sûreté aérienne au Gabon : un choix problématique ?

  • Photo du rédacteur: CEAEFP- Gabon
    CEAEFP- Gabon
  • 1 juin
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 juin

Par Marien MBA ESSONO, publié le 1er juin 2025

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À partir du 1er juin 2025, les passagers des vols domestiques, régionaux et internationaux au Gabon doivent s’acquitter d’une redevance de sûreté aérienne significativement plus élevée. Cette taxe passe, sans concertation préalable, de 3 000 à 7 000 FCFA pour les vols intérieurs, soit une augmentation de 133,33 %. Les vols régionaux et internationaux ne sont pas épargnés : la redevance y est portée à 18 000 FCFA (contre 7 000 FCFA auparavant) pour les premiers, et à 23 000 FCFA (contre 10 000 FCFA) pour les seconds. Si cette décision s’inscrit officiellement dans une logique de renforcement de la sécurité aéroportuaire, elle soulève de nombreuses interrogations quant à son opportunité économique, sociale et budgétaire. Car derrière l’apparente volonté d’optimiser les recettes de l’État, cette mesure pourrait en réalité entraîner des effets pervers.


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L’ampleur de la hausse interroge d’autant plus qu’elle survient sans communication ni étude d’impact publiquement documentée. Dans un pays comme le Gabon, où le transport aérien est vital pour relier les zones enclavées, une telle mesure aurait mérité un dialogue préalable avec les parties prenantes (compagnies aériennes, usagers, opérateurs économiques, collectivités locales). Cette annonce reflète une gestion technocratique pour ne pas dire déconnectée des réalités, et fait, de toute évidence, fi des risques macroéconomiques et sociaux induits.


Conséquences économiques et sociales : l'accessibilité en péril


La première conséquence, immédiate, est une hausse substantielle du coût des billets d’avion. Pour un vol intérieur, l’augmentation de 4 000 FCFA sur la seule redevance de sûreté peut représenter jusqu’à 15 % du prix total d’un billet sur certaines lignes locales. Ce renchérissement pèsera lourdement sur le pouvoir d’achat des Gabonais, dans un contexte de stagnation des revenus, d’inflation persistante et de précarité croissante dans les zones rurales. Le transport aérien, qui constituait déjà un luxe pour de nombreux ménages, deviendra un privilège inaccessible, y compris pour des déplacements essentiels : soins médicaux spécialisés, démarches administratives, examens nationaux ou activités professionnelles.


Cette hausse aggrave par ailleurs la fracture territoriale. Le réseau routier national souffre d’un sous-investissement chronique, et certaines localités ne sont accessibles que par avion. Réduire la mobilité dans ces zones, c’est accentuer leur isolement, freiner leur développement économique et entraver l’accès des populations aux services publics fondamentaux. À rebours des politiques de désenclavement et de solidarité nationale, cette mesure risque donc d’approfondir les inégalités d’accès aux opportunités.


Une atteinte à l’attractivité aérienne et régionale


D’un point de vue sectoriel, le renchérissement du coût du passage par les aéroports gabonais pourrait également avoir des effets dissuasifs. Déjà perçus comme parmi les plus chers de la sous-région, les aéroports du pays vont perdre en compétitivité face à des plateformes voisines telles que Douala, Pointe-Noire ou Malabo, qui appliquent des redevances plus modérées tout en proposant des services comparables, voire supérieurs. Les compagnies aériennes internationales et régionales, toujours à la recherche d’optimisation des coûts, pourraient réduire leurs fréquences, voire redéployer leurs opérations vers d’autres hubs. Cela aurait pour effet mécanique de réduire l’offre de transport aérien au Gabon, d’augmenter encore les prix pour les consommateurs restants, et de compromettre la viabilité économique de plusieurs dessertes.


À plus long terme, ce désavantage compétitif pourrait pénaliser le développement du tourisme, du commerce régional et des investissements directs étrangers. Dans un contexte où la logistique constitue un facteur clé d’attractivité économique, alourdir les coûts d’accès au territoire envoie un signal négatif aux investisseurs. Or, nombre d’entreprises, notamment dans les secteurs minier, pétrolier ou agricole, dépendent de l’efficacité du transport aérien pour acheminer leurs équipes, leurs équipements et leurs produits à forte valeur ajoutée.


Un pari fiscal risqué et potentiellement contre-productif


Du point de vue budgétaire, l’objectif affiché est clair : accroître les recettes publiques tirées de l’aviation civile. Toutefois, l’effet ricochet sur la demande pourrait neutraliser, voire inverser, ce gain escompté. En économie publique, il est bien connu qu’au-delà d’un certain seuil, une fiscalité trop lourde décourage l’activité qu’elle prétend taxer. Ce principe de courbe de Laffer s’applique ici pleinement : en augmentant brutalement les redevances, l’État risque de provoquer une baisse du trafic aérien, une diminution du volume de fret, et donc une érosion de la base imposable. Le rendement fiscal global pourrait ainsi se révéler inférieur à celui observé avant la réforme.


De plus, cette mesure pourrait générer des effets d’aubaine pour les transporteurs routiers, fluviaux ou informels, qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations fiscales, et qui verront leur compétitivité relative s’améliorer. L’économie formelle s’en trouverait affaiblie, au profit de circuits parallèles souvent moins sûrs, moins traçables et moins contrôlés.

Enfin, l'impact social de la mesure pourrait devenir politiquement coûteux. L’absence de pédagogie, l’ampleur de la hausse et son calendrier (en période de crise sociale latente) sont susceptibles de nourrir un mécontentement populaire. Dans un pays où le climat social reste fragile, toute réforme impopulaire perçue comme injuste ou brutale peut cristalliser un rejet global de l’action publique, affaiblir la confiance envers les institutions et freiner d’autres réformes pourtant nécessaires.


En conclusion, au lieu de constituer une réponse soutenable à la problématique du financement de la sûreté aéroportuaire, l’augmentation des redevances adoptée par le Gabon pourrait devenir une source d’instabilité économique, sociale et budgétaire. Plutôt que de tabler sur une fiscalité punitive, il serait plus pertinent d’explorer des solutions plus équilibrées : élargissement de l’assiette via la dynamisation du trafic aérien, recours à des partenariats public-privé pour financer les infrastructures de sûreté, ou encore mutualisation régionale des dispositifs sécuritaires dans le cadre de la CEMAC. Autant de pistes qui permettraient d’assurer la sécurité du transport aérien sans fragiliser davantage la cohésion territoriale ni compromettre les perspectives de croissance. La question n’est pas de savoir s’il faut financer la sûreté, mais comment le faire intelligemment. En l’état, cette hausse brutale de la redevance est plus un aveu de court-termisme qu’un levier stratégique.


Source:

Arrêté ministériel n°000351/MTMM/CAB-M du 30 avril 2025


Karl MAKEMBA, Transport aérien : triplement de la taxe de sûreté, les gabonais à nouveau à la caisse. Paru chez GMT le 23 mai 2025 (Gabon : la redevance de sûreté aérienne augmente de 157 % sur les vols régionaux | Gabonmediatime.com | Actualités Gabon)


Casimir MAPIYA, Gabon : la redevance de sûreté aérienne augmente de 157 % sur les vols régionaux (Transport aérien : triplement de la taxe de sûreté, les gabonais à nouveau à la caisse | Gabonmediatime.com | Actualités Gabon)


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